Par Vincent Bresson ¦  PME Magazine

le 26.01.2021 - 15:02


« On n’a jamais eu autant besoin de profils atypiques »


Alors que les carrières linéaires semblent en voie de disparition, l’entrepreneur et auteur Alexandre Pachulski défend le concept de singularité et l’intérêt des parcours professionnels originaux.


Un ancien comptable qui candidate à un poste de monteur vidéo, une ingénieure qui se reconvertit dans le marketing, les profils atypiques conquièrent les entreprises. Par leurs parcours alternatifs, ils enrichissent les équipes de leurs expériences professionnelles variées et de leurs points de vue originaux. Lorsqu’il fonde Talentsoft en 2007, Alexandre Pachulski souhaite valoriser cette diversité des profils professionnels.

 

Du recrutement à la gestion de carrière, sa société est aujourd’hui le leader européen dans le développement de logiciels et d’outils de ressources humaines. Elle compte quelque 2200 clients et 11 millions d’utilisateurs. L’entrepreneur français est également l’auteur d’Unique(s), un livre dans lequel il expose la façon dont la société brime à tort les particularités humaines. Entretien avec un auteur projeté dans les RH de demain.

 

Dans votre livre «Unique(s)», vous mettez en avant la singularité. Pourquoi est-elle si importante?

Alexandre Pachulski: Je crois qu’on n’a jamais eu autant besoin de profils atypiques. Aujourd’hui, les problèmes à résoudre sont d’une grande complexité, on le voit avec la situation sanitaire mondiale actuelle. Notre seule option pour s’en sortir est de faire comme certains super-héros de comics qui, face à une grosse menace, se disent qu’ils ne sauveront pas le monde tout seuls: il faut associer les talents pour faire émerger de nouvelles solutions. Ainsi, il est nécessaire de s’appuyer sur des idées différentes. Je suis convaincu que nous devons prendre cette voie: comme il n’y a plus de solutions toutes faites, nous avons besoin de nouveaux regards. Et donc de singularité!

 

Pourquoi les parcours originaux sont-ils mal considérés?

 

Les profils singuliers ne sont pas suffisamment valorisés dans les entreprises. Par leurs différents parcours, leurs expériences de vie, les collaborateurs avec un profil atypique réfléchissent différemment et apportent de nouvelles perceptions, ce qui s’avère bénéfique pour l’ensemble de l’entreprise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai créé Talentsoft. J’ai constaté que, souvent, les sociétés donnaient une fiche de poste avec un descriptif et il fallait chercher une personne qui puisse simplement remplir les critères. Dans ces cas de figure, on ne cherche pas des gens qui veulent contribuer à une communauté, et c’est bien dommage. Les profils atypiques doivent impérativement être intégrés dans la société et l’économie, on constate d’ailleurs un réel appel aux talents aujourd’hui. A partir du moment où 85% des jobs de 2030 n’existent pas encore, on ne sait pas ce qui sera requis demain.

 

Nos singularités individuelles sont-elles complémentaires avec celles des autres?
Elles ne sont pas assez complémentaires, car on a tendance à standardiser les élèves dans les écoles. Particulièrement en France, même si c’est moins vrai dans d’autres pays comme le Danemark. On formate des gens, ce n’est pas très loin de Smith dans le film Matrix. J’exagère un peu mais, d’une certaine façon, nous n’en sommes pas si éloignés! Avec le conditionnement scolaire, quand on atteint 25, 35 ou 50 ans, on ne se dit pas «je suis singulier», mais plutôt «je suis différent». Et ce n’est pas un compliment. La singularité est le versant positif de la différence. Nous sommes tous une pièce du puzzle, l’enjeu reste de trouver sa place.

 

Le système global de l’école vise à former pour un métier et non à se découvrir. De nombreux professeurs font ce métier avec passion et il serait injuste de les accuser personnellement, mais l’éducation, aujourd’hui, ne semble servir qu’à développer les compétences qui correspondront à un métier défini qui permettra de gagner de l’argent. Le problème réside dans le fait que cette posture ne favorise pas la collaboration, alors que c’est justement ce qu’il faut pour surmonter les crises de notre siècle. Copier en classe, c’est en soi déjà un peu de la collaboration: un élève qui ne sait pas se fait aider par celui qui a la connaissance. Pourquoi ne valorise-t-on pas un élève qui en aide trois autres? Pour pallier les difficultés de beaucoup d’enfants, notamment liées aux contextes social et familial, l’école doit servir de jardinier pour faire pousser chez les enfants la graine de leur singularité. Et je pense que la technologie peut aider à engager cette transformation profonde.

 

De quelle manière?

L’intelligence artificielle (IA) nous force à promouvoir la créativité. Puisque les machines sont capable de faire les mêmes choses que les humains, que nous reste-t-il? Le développement de l’IA permet de comprendre l’essence de nos capacités et contraint à valoriser ce qui rend l’humain unique: sa capacité à entrer en relation avec les autres et sa créativité.

 

Vous parlez du sentiment de contribution à la société, en quoi est-ce important?

Depuis une quinzaine d’années, on constate une quête de sens de plus en plus importante dans le monde du travail. Depuis la crise de 2008, ce qui paraissait sûr et solide a volé en éclats. Alors, puisque tout est risqué, autant avoir un travail qui a du sens, étant donné qu’on ne peut pas se reposer sur la stabilité. La notion de contribution est alors essentielle. Le titre de mon livre, Unique(s), est aussi au pluriel, car le but n’est pas d’être singulier pour être individualiste, mais de trouver sa particularité pour contribuer au bien-être de tous. Ces profils sont de plus en plus nombreux, car ils cherchent une voie dans laquelle s’épanouir et pas forcément une carrière pour gagner de l’argent. A Talentsoft, beaucoup ont quitté des postes de management à fortes responsabilités pour des emplois sans commandement, où ils sont davantage libres de leur temps et seuls maîtres de leur travail et de leurs rendus.

 

A l’image de votre démarche ou des discours d’Elon Musk, on entend de plus en plus d’entrepreneurs évoquer leurs idéaux, sans savoir s’il s’agit toujours de marketing ou d’une réelle ambition…

Si mon projet est seulement du marketing, on ne pourra pas m’enlever que j’ai au moins une certaine constance! Cette démarche que nous avons avec les entrepreneurs, ce n’est pas parce que nous sommes cools ou altruistes. Je crois qu’un entrepreneur est juste quelqu’un qui essaie de réparer quelque chose dans un domaine qui le concerne suffisamment pour qu’il y consacre sa vie. Moi, je suis concerné par le travail, parce que j’ai vu tout le monde autour de moi être écrasé par la pression professionnelle. Il n’y a rien d’altruiste, j’ai juste été intéressé par cette question du travail et de la singularité. Et je pense que je peux faire quelque chose pour améliorer la situation.


Bio express

Alexandre Pachulski Né en 1974, Alexandre Pachulski a obtenu un doctorat en intelligence artificielle à Paris en 2001. Il cofonde Talentsoft en 2007 à Paris, qui devient leader des applications cloud de gestion des talents et de formation en Europe. L’essayiste profite de ce succès pour valoriser le concept de singularité qu’il a notamment développé dans ses livres Unique(s), publié en 2018, et Génération IA: 80 films et séries pour décrypter l’intelligence artificielle, paru en 2020.

La richesse des profils atypiques pour votre entreprise


Un profil atypique, au sens managérial du terme, est un individu ayant un parcours professionnel et scolaire diversifié.

Ces profils représentent très souvent de hauts potentiels pour les entreprises, car ils ont une capacité d’investissement supérieure à la moyenne.

Bien que les profils atypiques ne sachent pas toujours ce qu’ils veulent précisément, ils savent ce qu’ils ne veulent pas, et ne feront aucune concession.

Il dégage de ces hauts potentiels de réelles capacités d’adaptation et de bonnes prédispositions à être moteurs de changements.


Embaucher un profil atypique

C'est quelqu’un qui par ses compétences ou ses expériences différentes, pourrait avoir un meilleur impact qu’un profil « normal » et conventionne


  • Une vision différente
  • Un regard extérieur

Il n’est pas rare qu’on demande à un nouvel employé d’apporter des idées nouvelles lorsqu’il commence à un nouveau poste. C’est même souvent pour cela qu’il a été embauché. Alors, qu’est-ce qu’un profil atypique peut apporter de plus à ce niveau-là ?

La réponse est simple : un regard extérieur. En effet, par définition, un profil atypique est une personne qui a un parcours bien différent des employés habituels de votre entreprise. Il pourra donc plus facilement sortir des sentiers battus, car en raison de son bagage professionnel contrasté, il aura un aperçu original de votre entreprise et du travail à mener. Un profil atypique apportera à la fois du sang neuf et une vision neuve, littéralement « out of the box ».


Polyvalent,  motivé et apprenant vite 

le profil atypique est caractérisé par le fait que sa carrière professionnelle est souvent constituée d’expériences diverses et variées, parfois dans plusieurs domaines relativement éloignés les uns des autres. L’intérêt d’une telle expérience, c’est la polyvalence qu’acquiert la personne.

En diversifiant ses compétences, il a ajouté des cordes à son arc, et peut ainsi apporter à votre entreprise bien plus qu’un candidat qui, par exemple, possède une seule très longue expérience à un seul et même poste équivalent.

Une conséquence intéressante de la polyvalence d’un profil atypique, c’est sa capacité à s’adapter.

Il a connu divers postes dans des domaines variés, donc il a appris à s’adapter efficacement et rapidement. Mieux encore, il a compris que le changement et l’évolution ne sont pas gênants, mais au contraire, nécessaires et salvateurs.

En clair, ce genre de profil va savoir apprendre plus rapidement, même si a priori, ce n’était pas son domaine de prédilection. 

Un profil atypique se sait différent. Une fois en poste, il voudra donc faire preuve de ses qualités, et montrera qu’il vaut autant (si ce n’est plus) qu’un profil qui aurait été plus « standard ».

Cela va se traduire par une tendance à faire plus d’effort, ou du moins, par une implication plus marquée : il sera plus concerné et donnera le meilleur de lui-même. 

Ajoutez cela au fait que s’il a postulé pour ce poste, c’est qu’il est certainement passionné par le travail à faire et le challenge à relever !


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